EUTROPE Albert (1888 – 1915) et Adalbert (1888 – 1966)


Adalbert en haut et Albert en bas

Adalbert en haut et Albert en bas

Albert et Adalbert EUTROPE : une saga familiale au sein du SCUF du début du XXème siècle. Un destin tragique dans la tourmente de la première guerre mondiale.

EUTROPE, une famille guyannaise
Né le 10 janvier 1888, Albert Victor Olivier avait un frère jumeau : Adalbert Charles Olivier, un frère ainé, Henry né le 31 mars 1881, une sœur, Rose née le 14 novembre 1882 et un autre frère, Paul né le 5 mars 1885 à Madagascar. Excepté ce dernier les autres enfants Eutrope sont tous nés à Cayenne au domicile de leurs parents au n° 41 de la rue du Port.

Leur père Paul Eutrope, né le 11 septembre 1844 à Cayenne, qui avait commencé sa carrière en 1863 comme écrivain de marine dans l’administration coloniale, était sous-commissaire à la marine ; leur mère Joséphine Dufourg, née le 8 janvier 1860 à Cayenne, était mère au foyer.

Albert Eutrope, l’international…

Albert Eutrope

Albert Eutrope

Comme son frère Henry, Albert intégrera l’école coloniale à Paris. Ce dernier fait parti des recrues du SCUF en 1910 et s’impose très rapidement en troisième ligne au sein de l’équipe première. Avec ses 1m72 pour 70Kg il alterne entre le poste de n°8 et de flanker. Le championnat 1911 va asseoir le nom du SCUF dans le rugby français. Le SCUF est champion de Paris et devance pour la première fois ses deux grands adversaires le Racing Club de France et le Stade Français. Albert et le SCUF se hisse en finale. Elle a lieu le 7 avril à Bordeaux devant 10.000 spectateurs face au Stade Bordelais UC. Le Sporting fourni une excellente partie mais est battu par une équipe supérieure. Les « noir et blanc » sont abattus, tristes et aucun chant ne retentit dans le vestiaire.

En octobre il est appellé à suivre son service militaire sur Paris. Il intègre le 19e escadron de train des équipages militaires, stationné quartier Fontenoy dans le 7e arrondissement. Un an plus tard,il arrive 4e au concours et intègre la formation des officiers de réserve du train à Fontainebleau.

Les saisons suivantes d’Albert sont remarquables. Il est appellé au sein de la sélection de Paris dès 1911 et la consécration arrive en 1913. Il est appellé à honorer sa première sélection nationale contre l’Irlande le 24 mars 1913 à Cork avec son coéquipier Jules Cadenat. Pour tous les deux ce sera leur dernière apparition avec le XV de France. En foulant le prè irlandais, il est le deuxième joueur de couleur a joué pour la France dans le tournoi après son coéquipier René Menrath arrière pour le 1er match du XV de France dans le tournoi des cinq nations de 1910. Pour l’anecdote, les français s’inclineront 24-00.

Après la reconnaissance internationale, Albert Eutrope enchaîne les succès avec le SCUF et devient champion de Paris la même année, tout comme son frère Adalbert qui a également rejoint les rangs du Sporting. Dans les phases finales du championnet de France, les noir et blanc battent le SNUC (Nantes) en quart (9-3) puis l’USAP (Perpignan) en demi-finale (15-3). Le match contre Perpignan est un des seules pour lequel nous avons la trace écrite que les deux jumeaux ont joué ensemble, mais certainement que d’autres situations similaires se sont produites durant les rencontres d’avant phase finales, comme contre le Racing CF en mars 1913. Le 20 avril 1913, à Colombes devant 15000 spectateurs, Albert joue troisième ligne centre dans la finale face à l’Aviron Bayonnais. Son frère Adalbert est sur le banc des remplaçants, mais à cette époque il n’y a pas de remplacement en cours de match. Hélas la bravoure et la force d’Albert ne peuvent rien face au jeu dynamique de Bayonne qui domine le SCUF 31 à 8.

« Devant un quinze Bayonnais si redoutable le SCUF n’a jamais été découragé, il a lutté comme il a pu. Aucune autre équipe n’eut opposé une résistance plus courageuse avec les moyens dont il disposait. Le SCUF a montré qu’il avait du coeur au ventre. C’est une qualité tellement essentielle au rugby, qu’il est tout juste qu’elle lui ait valu d’être en finale et d’être le second club de France. » (Jacques Dedet, « l’Auto »)

La saison suivante est moins glorieuse pour le SCUF, peut être l’effet du départ d’Albert pour l’Afrique. En effet, par arrêté du ministre des colonies daté du 10 novembre 1913, il sera nommé élève administrateur des colonies et affecté en Afrique Equatoriale Française. Il est mobilisé à Brazaville au Cameroun, possession Allemande.

Adalbert Eutrope à l'école nationale des arts et métiers

Adalbert Eutrope à l’école nationale des arts et métiers

 

Adalbert Eutrope, le jumeau capitaine…

Adalbert Eutrope

Adalbert Eutrope

Quant à son frère jumeau Adalbert, il avait choisi une toute autre voie en devenant ingénieur des arts et métiers. Il sortira en effet de l’école nationale des Arts et Métiers d’Aix-en-Provence avec le diplôme d’ingénieur en 1909, plus communément nommé « Gadzart ». Adalbert sera membre de l’équipe de rugby de l’école nationale des arts et des métiers d’Aix et gagnera la finale interscolaire du championnat de France en 1909. ll se spécialisera ensuite dans le domaine de l’électricité en intégrant l’Institut Electronique de Grenoble. Adalbert s’illustrera également avec le SCUF en assurant la survie sportive pendant la grande guerre. Certainement pour rendre hommage à son frère tombé début 1915, il accepte la fonction de Capitaine de l’équipe première de 1916 à 1918. En 1916 il est sélectionné dans l’équipe parisienne contre l’Ambulance américaine de Neuilly dans une rencontre dite franco-américaine dont l’objectif est de récolter des fonds pour envoyer des ballons aux soldats au front. Cette même année il participe au match entre la sélection parisienne contre son homologue lyonnaise. En 1917 il fait parti de l’équipe des « Probables » qui affronte les « Possibles » en vue de constituer une sélection le jour où la guerre prendra fin… Adalbert participera, après guerre, à la reconstruction du club et jouera jusqu’en 1919. A l’époque de son mariage en 1922, il était ingénieur à la Société d’Electricité pour la Lumière et la Force à Paris. Il publiera plus tard avec Jules Verger un ouvrage intitulé « Formulaire de l’électricien praticien ». Il est inquiété par la justice après la seconde GM pour acte de collaboration et après une trentaine d’années loin du club, on le retrouve en 1954. Est ce pour se dédouaner et se rapprocher de personnages plus glorieux durant le conflit ? Son nom réapparaît dans les archives du SCUF comme donateur pour la souscription des travaux du siège à la piscine Chazelles. Puis en 1956, il intègre le Bureau directeur du SCUF Omnisport où il cotoie certains pionniers rugbyman comme Lucien Besset qui préside le club. Une collaboration sans réelle fraternité. En effet, d’après les témoignages d’anciens scufistes, ce dernier était souvent tenu à l’écart. Le personnage entretiendra une certaine confusion historique, s’attribuant les palmes internationales de son frère à certaines reprises. En effet, les archives du SCUF bouillonnent d’informations contradictoires que le personnage d’Adalbert semble avoir entretenu pour maintenir la mémoire de son frère ou glorifier sa propre image moins capé… Il quitte sa fonction de membre du Comité directeur en 1964. Il décède le 19 septembre 1966.

 

 

Adalbert & Albert Eutrope

Adalbert & Albert Eutrope

 

 

 

 

Albert tombé pour la France…

Lorsque la guerre éclate début août 1914, le sous-lieutenant de réserve Albert Eutrope qui se trouve en Afrique est mobilisé pour combattre au Cameroun. Il se retrouvera dans la colonne franco-belge dite Shanga-Cameroun, basée à Brazaville.

Albert Eutrope sera tué d’une balle en plein front le matin du 26 mai 1915 alors qu’il montait à l’assaut d’une position ennemie, un peu avant Masseng, à la tête de sa section qui sortait de la forêt à environ 20 mètres des retranchements allemands. Le lieutenant-colonel Hutin qui commandait la colonne Shanga-Cameroun, écrira à la famille pour relater les circonstances de la mort du sous-lieutenant Eutrope :

« Dans l’ordre de marche du détachement opérant dans la direction de Masseng, la section du sous-lieutenant Eutrope se trouvait en tête du gros. Le 26 mai, vers 7h45, cette section se déployait à gauche de la piste et se portait sous le bois et en avant. Profitant d’une brousse épaisse, cette fraction peut approcher jusqu’à 20 mètres des retranchements allemands, devant lesquels elle débouche brusquement. L’ennemi, bien abrité, ouvrit un feu extrêmement violent. Le sous-lieutenant Eutrope tombe mortellement frappé à la tête ; il était 8h 45. Pendant deux heures, le corps ne put être enlevé, les Allemands qui l’avaient vu tomber, tentèrent de le prendre. Les tirailleurs français, héroïquement, luttèrent pour l’enlever ; un caporal et sept d’entre eux furent tués et blessés. Vers 10h 30, après de longs et vigoureux efforts, le corps du sous-lieutenant Eutrope fut en sûreté. Il a été transporté à N’Gato (point 29) et inhumé au cimetière de cette position. Il est mort glorieusement au champ d’honneur, à la tête de ses hommes, face à l’ennemi. Le Lieutenant-Colonel, commandant la colonne franco-belge de la Shanga-Cameroun : (Signé) Hutin. »

Le sous-lieutenant de réserve Eutrope Albert fera l’objet à titre posthume d’une citation à l’ordre de l’armée . A cette citation à l’ordre de l’armée, la plus haute distinction durant la guerre 14-18, était automatiquement attribuée la Croix de guerre avec palme.

En 2014, dans le cadre de la commémoration du centenaire de la première guerre mondiale, la FFR apposera une plaque au centre de Marcoussis des Internationaux tombés pour la France, tout comme cela avait été fait dans les années 20′ au stade de Colombes. Dans sa médiocrité, elle oubliera juste d’y inscrire le nom d’Albert Eutrope. Le SCUF, lui, ne l’oubliera pas !