Philippe GUILLARD


Philippe GUILLARD, une destinée de footballeur qui s’achève en soulevant le Bouclier de Brennus en 1990 avec le Racing Club de France, tout un symbole pour celui qui avait joué sous les couleurs du club fondé par Charles Brennus lors de la saison 1981/82

  • Né le 13 mai 1961 aux Abymes (Guadeloupe)
  • 1m80 – 76Kg
  • Palmarès :
    • Champion de France 1990 (RCF)
    • Finaliste 1987
  • Profession : Auteur réalisateur – je ne suis plus journaliste depuis 2000
  • Situation maritale : Père de 2 enfants
  • Sélections : International Universitaire, militaire et France B

– Comment es tu arrivé au rugby ? Pratiquais-tu d’autres sports avant ? Baignais tu dans une ambiance familiale rugbystique ?

Je suis issu d’une famille de foot. Mon père y jouait, mes oncles pied-noirs y jouaient. J’ai même un de mes oncles, Jacky Zaouch qui avait joué à Marseille et à Ajaccio dans les années 60. Je ne pouvais échapper à l’idée de devenir un jour footballeur pro. Quand on est gamin, on a le droit de rêver (lol). C’est donc tout naturellement que j’ai joué au foot en premier lieu. Mais à l’âge de 12 ans on part en Martinique avec les parents et là, j’ai habité une gendarmerie (mon père était gendarme) dans laquelle il y avait beaucoup de familles du Sud Ouest. C’est là que j’ai commencé à jouer au rugby, poussé par les potos de la gendarmerie. Sauf qu’à cette époque, il n’y avait pas d’école de rugby ce qui fait que dès l’âge de 14 ans je jouais avec des militaires ou gendarmes de 20 à 30 ans… Du coup en rentrant en métropole, mon père étant muté à Fontainebleau, j’ai continué là-bas…

– Depuis tes débuts, as-tu toujours évolué dans les lignes arrières ? On te connaît comme l’ailier des années 90′ du Racing CF. Était-ce ton poste de prédilection ou tu avais des préférences pour d’autres numéros ?

En fait, en cadet 1ère année, à Fontainebleau, je jouais numéro 8. J’avais déjà fait ma croissance du coup j’avais un bon gabarit pour l’âge de 15 ans. Sauf que je n’ai plus grandi, donc plus tard, mon gabarit étant rattrapé et dépassé par les autres, je me suis retrouvé au centre. Poste que j’ai occupé au SCUF, dans la saison 1981-82. Mais plus tard, au Racing, il y avait des trois quarts centre bien plus talentueux que moi et je me suis retrouvé à l’aile. Souvent en vieillissant on passe de l’aile au talon, j’ai eu de la chance… Bien sûr que le poste de centre me plaisait plus, on est plus près de la ligne d’avantage, plus près du jeu, et c’est franchement plus facile de défendre au centre. A l’aile, c’est plus compliqué. En attaque comme en défense, il faut arriver dans le bon timing. C’est un poste qui nécessite de l’expérience. Quant on met un Denis Charvet à l’aile en coupe du monde 1987, il est paumé. Plus récemment, Brice Dulin a eu beaucoup de mal à trouver ses marques quand il est passé d’arrière à ailier pendant la coupe du monde 2015. Il a beau être un excellent défenseur d’homme à homme, il lui manquait le timing pour être là au bon moment. C’est un poste difficile, mais j’ai appris à l’aimer au fil du temps. On est plus libre, on peut se balader un peu partout, picorer deux trois ballons par-ci par-là, comme un voleur de poule, relancer avec son arrière… Bon, et puis faut dire que quand tu as la chance d’être ailier avec Blanc, Lafond, Mesnel, Cabanne… la vie est belle…

– Dans quelles conditions fais-tu tes premiers pas avec l’Équipe 1 du SCUF ? Qu’est-ce qu’il te reste comme souvenir sportif de cette saison 1981-82 avec les noir&blanc ? Y a-t-il des noms de joueurs ou dirigeants qui t’ont marqué à l’époque ?

C’est l’une de mes plus belles années rugby. En fait, en mai 1981, j’ai 20 piges, Fontainebleau reçoit le SCUF en match amical. Le SCUF venait d’accéder à la deuxième division et nous on redescendait de troisième division à la division d’honneur. Et bon, voilà, disons que c’est gênant de le dire mais je crois que j’ai du faire un bon match… André Celhay, l’entraîneur de l’époque que je remercie d’ailleurs, m’a proposé de venir jouer avec eux. J’avoue que cela ne me déplaisait pas, surtout que je faisais mes études à Paris et que du coup, j’en avais un peu marre de faire des allers retours en train pour aller jouer ou m’entraîner. Et puis, j’ai senti pendant la troisième mi-temps qu’il y avait des bons mecs, vaillants sous la pique (hi hi hi). Alors j’ai signé. Et là, j’ai connu à la fois une très belle année mais aussi la pire dans ma vie perso. Ma mère est décédée en janvier 82, après une longue maladie et j’ai pu trouver un soutien formidable de tout le monde ce qui m’a franchement bien aidé. J’ai des grands souvenirs avec le SCUF. Les Antoine Pabst, Jean-Pierre Launey, Daniel Bourrel, Fred Bolling, les frères Gervais, les frères Hamet, Roro, Ripoll, allias le talon électrique, Olivier Beretta, Christian Cote avec lesquels je jouais à Fontainebleau, notre entraîneur, André Celhay, et j’en passe car la liste est longue, c’était mes premiers pas de rugbyman parisien. Je me souviens qu’on s’entraînait au pied de la tour Eiffel, qu’on jouait un peu partout car on n’avait pas de stade attitré et que j’ai beaucoup appris sur la troisième mi-temps autant que sur les deux premières… Je me souviens que quand on partait jouer à l’extérieur, avant de prendre le train, on allait réveiller Daniel Bourel qui dormait dans son ami 6, près de la gare, après avoir fait la bringue à la rue de la soif… Il fallait faire le tour du quartier pour trouver où était garée sa voiture. C’est qu’il n’y avait pas de portable à l’époque…

– Comment se met en place ton transfert au Racing ? C’est toi qui tape à la porte des ciel&blanc ou on est venu te chercher ?

Je pars au Racing parce que tous les dimanche, Jean Pierre Launey, qui jouait avec nous, me disait qu’il fallait que je tente ma chance au Racing. Que j’y avais ma place et qu’il ne fallait pas que j’attende. Au début, je lui disais qu’il était fou, que jamais je ne jouerai en première vu les mecs qui y étaient. Puis cela a fini par faire son petit bonhomme de chemin dans ma tête et j’ai finalement pris la décision de signer au Racing au mois de mai. En parallèle, il faut dire qu’André Celhay y est pour beaucoup dans cette décision car lui aussi me poussait et en a souvent parlé au coach du Racing à cette époque, Jacky Violle. Donc, j’ai pris mon baluchon et je suis allé signer ma licence.

– A partir de 1982 tu mets les pieds dans le rugby de haut niveau, est-ce qu’à cette période tu as déjà des activités qui vont t’orienter vers le journalisme, l’écriture et le cinéma, ou est-ce venu après ta carrière sportive ?

Franchement non. J’étais en fac de sciences éco et je sortais d’un bac F3 (électrotechnique) et je faisais trois fautes d’orthographe par phrases et sur des phrases courtes en plus. Non, c’est plus tard vers l’âge de 23 ans que je me suis mis à écrire. Me demande pas pourquoi, j’en sais toujours rien. D’ailleurs, j’ai souvent cherché le déclencheur mais je ne l’ai jamais trouvé. Alors, aujourd’hui, je ne le cherche plus…

– Tu connais les valeurs purement amateurs que défend le SCUF depuis 1895. Malgré ce « handicap » le club est parvenu à se hisser jusqu’en Fed 3. Toi qui baignes dans ce monde devenu professionnel, comment vois-tu cela ? Penses-tu que le SCUF peut espérer survivre dans ce milieu où l’argent s’impose ?

D’abord, il ne faut jamais oublier que le SCUF est définitivement attaché à l’histoire du Brennus, donc du rugby. Du coup, il est essentiel qu’il perdure dans le temps. De savoir que le club est en fédéral 3 est rassurant d’ailleurs car il prouve que l’on peut exister sans argent et que le budget ne fait pas tout. Maintenant, j’ai une notion un peu particulière de l’existence d’un club. Pour avoir joué de la division d’honneur à la première division, j’ai constaté que le fond est toujours le même, que l’essentiel n’est pas forcément dans la recherche de la division supérieure, mais dans l’existence pure du club, de ses valeurs et de ses couleurs. C’est bien d’avoir toujours l’ambition sportive, le goût pour la compétition, car il est le moteur de tous les clubs et il fait qu’on se bouge tous ensemble pour atteindre des objectifs. Mais il ne faut surtout pas oublier la carrosserie, car trop de clubs se sont brûlés à vouloir gonfler le moteur. Pour moi, il faut trouver sa bonne place, l’équilibre entre l’argent et l’ambition, car au final le club est comme une famille où tout le monde doit être heureux d’en faire parti. Un club, c’est un endroit où l’on échange, où l’on partage, où l’on apprend à donner, c’est une aventure humaine avant tout, et accessoirement on joue des matches le dimanche, histoire de se mesurer à l’autre. Mais, parfois il vaut mieux être heureux en Division d’honneur que malheureux dans les divisions supérieures. À Fontainebleau, on était monté d’honneur à troisième division. A l’arrivée, on a pris des raclées tous les dimanches, on n’était pas à notre place. Du coup tu ne prends plus aucun plaisir, tout le monde fait la gueule et parfois ça crée des conflits, c’est à dire tout le contraire de ce qu’on attend d’un sport comme le rugby.

– Tu as joué le rugby du XXème siècle, tu connais celui qui nous est contemporain. Dans ce sport qui est en constante évolution, comment imagines-tu le rugby dans 20/30 ans, ou comment tu l’espères ?

Quand je vois le jeu et les joueurs d’aujourd’hui, j’ai l’impression que le rugby que j’ai pratiqué était celui des hommes des cavernes. Mais ayant eu la chance de suivre cette évolution sur le bord des terrains avec Canal, je peux te dire que si la forme a changé, le fond est le même. Il est toujours question d’essayer d’avancer ou de déborder en donnant le ballon en arrière. Le fondement du jeu reste intact pour moi. C’est juste la forme qui a changé et c’est normal puisque les mecs s’entraînent 10 fois plus que nous. Quant à l’esprit, il reste le même côté joueurs crois-moi. C’est juste le système qui entoure le joueur qui s’est transformé à une allure vertigineuse. Dans notre temps, ce sont les rugbymen qui faisaient le système, les entraîneurs, les bénévoles, les dirigeants, les présidents, ils avaient tous joué au rugby avant et ils connaissaient les codes. Aujourd’hui, c’est le système qui fait le rugby. La moitié des présidents est complètement novice en rugby et s’entoure souvent de staffs business, marketing, ou communication qui ne connaissent rien au rugby. D’où ce décalage dangereux entre les volontés de préserver les valeurs et les conséquences néfastes qu’engendrent des ambitions parfois démesurées et mégalomaniaques… Donc forcément comme tout le monde je ne suis pas optimiste pour l’avenir de ce sport, dans sa partie professionnelle, je précise. Car je pense que dans les divisions inférieures, on trouve encore des clubs “à l’ancienne”. Dans 30 ans je n’ai aucune idée sur ce que va devenir ce sport. Mais c’est vrai que les chocs sont de plus en plus violents, il n’ y a plus guère de place pour l’improvisation, les joueurs changent de clubs comme on change de chemise, tout cela n’est pas très rassurant. Heureusement, les champions du monde d’aujourd’hui prouvent que l’on peut pratiquer un rugby plus fait d’évitement que de cassage d’épaules…

– En 2019, la dernière ligne sur la plaque du Bouclier de Brennus sera noircie. Comme tu le sais, le SCUF, qui a offert le bouclier à la FFR, le remet symboliquement par deux Juniors lors de chaque finale. Au sein du club, nous craignons que le bout de bois disparaisse à l’issue pour être remplacé par une enseigne publicitaire. Comment vois-tu l’issue ? Est-ce que le rugby français peut faire barrage à ce genre de dérive ?

Je ne crois pas à l’enseigne publicitaire sur le bouclier. Ou alors, c’est qu’on a complètement dérapé. Au football, sport qui je pense est au firmament des contrats publicitaires, les trophées n’ont pas de “marque” heureusement. Donc si eux ne le font pas… j’ose imaginer que nous ne le feront jamais… Les juniors du SCUF ont encore de l’avenir !!! Quoiqu’il en soit, je suis pour la création d’une commission des sages, composée d’anciens grands joueurs et porteurs de ces valeurs, qui aurait son mot à dire sur telle ou telle décision prise par tous ces nouveaux intervenants du système rugbytisque français.

– De ton côté, tu as dernièrement participé à la candidature de la France pour la Coupe du monde 2023 avec ton court métrage Ze French Touch, est ce que ton engagement dans ce projet continue ? Quels sont tes prochains projets ?

Mon engagement continuera si on a la coupe du monde 2023, sinon, je rentre à la maison… et on va être au courant assez rapidement. Pour le reste, j’ai deux projets cinéma en cours dont un que je devrais tourner en mai juin prochain si tout va bien et dont je termine le scénario en ce moment. Et puis deux trois petites choses qu’on me demande de faire pour le rugby par-ci, par-là, au sein des clubs ou de la fédération, histoire de ne pas me retrouver à faire que du cinéma, car franchement, si j’aime écrire et réaliser, je ne me sens pas du tout en famille dans ce milieu.

– As tu un mot à ajouter ?

Vive le SCUF !!!…