{"id":4880,"date":"2018-03-20T14:39:24","date_gmt":"2018-03-20T13:39:24","guid":{"rendered":"http:\/\/rugby.scuf.org\/?p=4880"},"modified":"2018-03-27T08:11:02","modified_gmt":"2018-03-27T07:11:02","slug":"gregoire-bouillier","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/rugby.archive.scuf.org\/2018\/03\/20\/gregoire-bouillier\/","title":{"rendered":"Gregoire BOUILLIER"},"content":{"rendered":"
.<\/p>\n <\/p>\n .<\/p>\n \u2013 Raconte nous par quel biais tu te retrouves \u00e0 jouer au rugby au SCUF ? Avais tu pratiqu\u00e9 d’autres sports avant ? Il y avait il des penchants rugbystiques dans ta famille ?<\/strong><\/p>\n Personne dans ma famille ne jouait au rugby et je peux m\u00eame dire que le sport \u00e9tait le cadet des soucis de mes parents ou de mon fr\u00e8re ain\u00e9. On ne regardait pas les matches de foot \u00e0 la t\u00e9l\u00e9 ni m\u00eame les JO, par exemple. Rien \u00e0 fiche. Du c\u00f4t\u00e9 de ma famille, je n’ai donc aucune culture sportive. Raison pour laquelle j’ai justement aim\u00e9 le sport, comme une fa\u00e7on de me trouver un territoire \u00e0 moi ? Je crois que c’est plus simple que \u00e7a : j’aimais me d\u00e9penser. J’aimais la comp\u00e9tition. J’aimais jouer<\/em> ! Par dessus tout, j’aimais l’esprit d’\u00e9quipe. Faire des trucs avec les copains. Le c\u00f4t\u00e9 camaraderie. Je n’ai jamais eu de plaisir \u00e0 pratiquer un sport solitaire, comme la course \u00e0 pied ou le tennis. J’ai toujours aim\u00e9 le c\u00f4t\u00e9 collectif du sport, le c\u00f4t\u00e9 exploit \u00e0 plusieurs, le c\u00f4t\u00e9 aventure humaine avec des copains, o\u00f9 il s’agit de jouer collectivement pour soi et individuellement pour les autres. A l’\u00e9cole, on se fabriquait des balles en scotch pour jouer au foot pendant la r\u00e9cr\u00e9ation et on s\u00e9chait les cours\u00a0 pour prolonger les matches en louced\u00e9. On se faisait r\u00e9guli\u00e8rement confisquer la balle et on recommen\u00e7ait. Tout seul, cela n’aurait eu aucun sens de braver l’autorit\u00e9, etc.<\/p>\n Comme j’\u00e9tais petit, j’\u00e9tais nul au basket ; et je n’avais pas le bras pour jouer au hand. Vers l’\u00e2ge de 6 ou 7 ans, mes parents m’ont inscrit comme poussin dans un club de foot. Mais je m’ennuyais. Ce n’\u00e9tait pas dr\u00f4le. J’avais l’impression de ne jamais toucher la balle. Fallait rester \u00e0 son poste et c’\u00e9tait \u00e0 peu pr\u00e8s tout. Alors qu’au rugby, il y a toujours moyen de participer \u00e0 l’action. On est tous sur le m\u00eame ligne ! Il n’y a pas ceux qui restent dans leur moiti\u00e9 de terrain et ceux qui sont \u00e0 l’attaque. Bon, okay, c’est parfois dur pour les ailiers car la balle leur parvient rarement… Mais moi, j’\u00e9tais demi de m\u00eal\u00e9e et c’\u00e9tait cool. Et puis, j’adorais plaquer les gros. Les gros, ils \u00e9taient tout mous et c’\u00e9tait g\u00e9nial. Quand ils vous fon\u00e7aient dessus, ils faisaient un peu peur, mais quand on les prenait bien aux jambes, on avait l’impression d’avoir abattu une montagne et c’\u00e9tait la gloire. Alors que les trois-quarts, ils \u00e9taient tout en muscle et en os et \u00e7a piquait quand on les plaquait.<\/p>\n Je crois aussi qu’il y avait une esp\u00e8ce de fiert\u00e9 au jouer au rugby parce que ce n’\u00e9tait pas le foot. Tout le monde pouvait jouer au foot, alors que jouer au rugby, c’\u00e9tait comme faire partie d’une intelligentisa du sport. C’\u00e9tait la classe. C’\u00e9tait super gratifiant. Ma m\u00e8re ne comprenait rien aux r\u00e8gles et elle n’\u00e9tait pas la seule \u2013 alors que les r\u00e8gles sont tout de m\u00eame super simples… En tout cas, le rugby avait une image prestigieuse et c’\u00e9tait flatteur de dire : moi, je joue au rugby. Bref.<\/p>\n A l’\u00e9cole, il n’y avait pas de rugby. Mais une fois, en cours de gym (on disait \u00ab\u00a0gymnastique\u00a0\u00bb \u00e0 l’\u00e9poque, pas \u00ab\u00a0EPS\u00a0\u00bb), on est all\u00e9 au stade et on a fait une initiation. Comme je courais vite, j’ai tout de suite aim\u00e9. J’\u00e9tais un peu frimeur et, balle en main, je narguais ceux qui voulaient me rattraper. Du coup, avec mon meilleur copain, Philou, on a cherch\u00e9 un club et c’est comme \u00e7a qu’on s’est inscrit au SCUF, parce que c’\u00e9tait le club le plus accessible en termes de transport. On se trimballait tout le temps avec un ballon ovale (qui, \u00e0 l’\u00e9poque, \u00e9tait en cuir) et, dans la rue, on se faisait des passes par dessus les voitures, etc. On a commenc\u00e9 minime deuxi\u00e8me ann\u00e9e et on a continu\u00e9 quatre ans, juqu’en cadet premi\u00e8re ann\u00e9e. A ce moment l\u00e0, les \u00e9tudes, les filles, d\u2019autres centres d\u2019int\u00e9r\u00eat… \u2013 et puis, \u00e7a commen\u00e7ait \u00e0 devenir s\u00e9rieux. On voyait ceux qui \u00e9taient bons et qui avaient une carte \u00e0 jouer en junior, voire plus loin. Je n’en faisais pas partie.<\/p>\n Concernant ma passion pour le rugby, je dois dire aussi que Roger Couderc a jou\u00e9 un r\u00f4le assez stimulant. Il mettait tellement de souffle dans ses commentaites. Avec lui, chaque match prenait des allures d’\u00e9pop\u00e9e et, pour les gosses que nous \u00e9tions, rien ne pouvait mieux nous \u00e9lectriser. En plus, c’\u00e9tait l’\u00e9poque des Rives<\/a> et compagnie. C’\u00e9tait l’\u00e9poque des Gallois de JPR Williams<\/a>, ce cheval fou… De grands matches \u00e0 chaque fois !<\/p>\n <\/p>\n \u2013 Dans ton dernier livre \u00ab\u00a0Le dossier M<\/a>\u00a0\u00bb tu te d\u00e9voiles et on d\u00e9couvre ton parcours rugbystique au SCUF ainsi que ta vision attrist\u00e9e prise par le rugby moderne… Pourquoi ces lignes d\u00e9di\u00e9es au \u00ab\u00a0French flair\u00a0\u00bb ne sont elles lisibles que sur internet et n’ont pas trouv\u00e9 gr\u00e2ce dans le livre papier ? (A lire ici – French flair<\/a>)<\/strong><\/p>\n <\/p>\n Au d\u00e9part, le Dossier M faisait plus de 2000 pages. Ce n’\u00e9tait pas pr\u00e9m\u00e9dit\u00e9, je ne tenais pas du tout \u00e0 faire un livre aussi volumineux ; mais il se trouve que l’histoire que j’avais \u00e0 raconter s’est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e plus… \u00ab\u00a0imposante\u00a0\u00bb que je l’imaginais. Comme je le dis en 4e de couverture : \u00ab\u00a0M comme une histoire d’amour. Mais quand on a dit \u00e7a, on n’a rien dit. Ou alors il faut tout dire\u00a0\u00bb. Donc, j’ai tout dit – vraiment tout ! -, et, \u00e0 la fin, je me suis retrouv\u00e9 avec une esp\u00e8ce de dinde de 4 millions de signes, si grosse que j’ai pens\u00e9 que pas un \u00e9diteur n’en voudrait. Du coup, j’ai cherch\u00e9 \u00e0 couper. Mais je n’y arrivais pas. Tout avait son importance. Tout s\u2019enchainait ou, pour filer la m\u00e9taphore rugbystique, tout se faisait merveilleusement la passe pour faire triompher l\u2019Id\u00e9e \u00e0 la fin (je rappelle que Montaigne a \u00e9crit des \u00ab\u00a0Essais\u00a0\u00bb!). C’est alors que j’ai eu l’id\u00e9e du site (ledossierm.fr). Il y avait des pi\u00e8ces du Dossier que je pouvais verser sur le site et, ainsi, le livre serait (un peu) moins volumineux, tout en restant complet. J’ai longtemps h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 garder le passage sur le rugby. Mais il faisait un peu doublon avec ce que je dis de la s\u00e9rie Dallas<\/a> et comment, \u00e0 partir des ann\u00e9es 80, la soci\u00e9t\u00e9 toute enti\u00e8re a bascul\u00e9 dans \u00ab\u00a0le culte du plus fort et un monde impitoyable\u00a0\u00bb. L’\u00e9volution du rugby n’a pas \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 cette bascule ultralib\u00e9rale et cynique, elle l’illustre de fa\u00e7on exemplaire. Mais en tant qu’exemple, ce passage faisait doublon. Je disais finalement deux fois la m\u00eame chose. Donc il fallait que j’exporte vers le site ou bien Dallas, ou bien le rugby. J’ai opt\u00e9 pour cette seconde option, parce que le slogan de Dallas sert de fil rouge pendant tout le livre. C’est donc pour des raisons purement narratives que les pages sur le rugby figurent dans une version r\u00e9duite dans le livre, tandis que l\u2019int\u00e9gralit\u00e9 se trouve sur le site. Mais en termes d’int\u00e9r\u00eat, ce que je dis sur l’\u00e9volution du rugby m’importe tout autant, voire plus, affectivement parlant…<\/p>\n Les Min\u00eemes du SCUF – 1972 Gregoire Bouillier est en haut, le 3\u00e8me en partant de la gauche<\/p><\/div>\n <\/p>\n \u2013 C’est avec plein de nostalgie que tu reviens sur ta jeunesse scufiste. Au del\u00e0 du jeu, on a l’impression que le club et le groupe avec qui tu \u00e9voluais pouvait \u00eatre compar\u00e9 \u00e0 une famille ?<\/strong><\/p>\n Il y a un c\u00f4t\u00e9 nostalgie, parce qu\u2019il s\u2019agit de ma jeunesse\u2026 Mais ce n\u2019est pas seulement nostalgique. C\u2019est plut\u00f4t un rapport de m\u00e9moire. De mon vivant, j’ai assist\u00e9 \u00e0 un changement dans le rugby comme dans la soci\u00e9t\u00e9 et je voulais parler de \u00e7a. Car tout n\u2019\u00e9tait pas rose non plus avant. Quand B\u00e9ziers<\/a> dominait le championnat de France, on se faisait grave chier aussi. Mais c\u2019est pire aujourd\u2019hui et comment est-ce possible si ce n\u2019\u00e9tait pas mieux avant\u00a0? C\u2019est la question que je pose dans le Dossier M. Cela dit, j’en parle \u00e0 mon aise. Car les matches du championnat de France n’\u00e9tait pas retransmis \u00e0 l’\u00e9poque \u2013 hormis la finale. Ce qui fait que le rugby, c’\u00e9tait essentiellement l’\u00e9quipe de France et, l\u00e0, je peux dire que c’\u00e9tait tout de m\u00eame mieux dans les ann\u00e9es 70 et 80 et m\u00eame jusqu’en 1999. J’ai un million de souvenirs de Sella<\/a>, Codorniou<\/a>, Lafond<\/a>, Bertranne<\/a>, Aguirre<\/a>, Gallion<\/a>. M\u00eame d’Est\u00e8ve<\/a> et Bastiat<\/a> et Palmi\u00e9<\/a> et Paparemborde<\/a>, etc. A l’\u00e9poque, pour moi, le rugby, c’\u00e9tait l’\u00e9quipe de France et le SCUF. \u00c7a marchait ensemble. C’\u00e9tait li\u00e9\u00a0! Je suis heureux d’avoir conserv\u00e9 une photo o\u00f9 on voit notre \u00e9quipe \u2013 je crois que c’\u00e9tait en 1972. Ce que je regrette, c’est d’avoir oubli\u00e9 les noms des copains \u2013 hormis celui de mon pote Philou (le blond au milieu). Oui, c’\u00e9tait un peu comme une famille. C’\u00e9tait chaleureux. Quand on perdait (et je crois que c’\u00e9tait souvent…), les \u00ab\u00a0coachs\u00a0\u00bb ne nous assassinaient pas. Ils d\u00e9fendaient une culture du jeu et cet esprit m’est rest\u00e9. Ce qu\u2019il y a de plus beau au rugby, c\u2019est lorsqu\u2019on doit jouer un deux contre un. Celui qui porte la balle doit attirer le plus possible le d\u00e9fenseur vers lui pour donner la balle au copain dans les meilleures conditions. Du coup, lorsqu\u2019il donne la balle au dernier moment, le d\u00e9fenseur sait qu\u2019il n\u2019aura pas le temps de plaquer le copain qui file \u00e0 l\u2019essai et on se prend toute sa frustration dans le buffet. Mais on s\u2019en fiche. Le copain va aller marquer, on a r\u00e9ussi \u00e0 faire vivre l\u2019id\u00e9e, il y a quelque chose de sacrificiel dans le rugby qui m\u2019a toujours plu.<\/p>\n Maintenant, mes souvenirs les plus nets concernant mes ann\u00e9es scufistes, c’est le terrain gel\u00e9 en hiver, les entrainements en nocturne, dans le froid et la gadoue. Eh quoi, c\u2019\u00e9tait Paris\u00a0! Et puis on avait des places pour aller voir les matches du XV de France au Parc des Princes. C’\u00e9tait g\u00e9nial\u00a0! Mais je me rappelle surtout notre maillot\u00a0: il \u00e9tait super classe et c\u2019est le seul uniforme que j’ai aim\u00e9 port\u00e9 dans ma vie. On se croyait un peu les Blacks !<\/p>\n Et puis je me souviens des branl\u00e9es qu’on se mettait deux fois l’an avec ceux de l’ASPTT. C’\u00e9tait la guerre entre nous \u2013 ah ah ah ! Par dessus tout, je me souviens d’un 32e<\/sup> ou d\u2019un 16e de finale \u00e0 Pau. On jouait en ouverture de Pau-Narbonne, en challenge Yves-du-Manoir. Une aventure fantastique ! Toute l’\u00e9quipe qui prend le train de nuit et, bien s\u00fbr, on fait la f\u00eate comme des tar\u00e9s. Bien s\u00fbr, on n’\u00e9tait pas tr\u00e8s frais \u00e0 l’arriv\u00e9e, mais totalement surexcit\u00e9s. Les gars de Pau nous ont sacr\u00e9ment embourb\u00e9s car ils avaient dit qu\u2019on jouait \u00e0 16h mais \u00e0 peine le d\u00e9jeuner termin\u00e9 (avec force terrines et cochonnailles\u00a0: un vrai festin\u00a0!), ils nous ont annonc\u00e9 qu’on jouait \u00e0 14 h. Allez hop hop hop, sur le pr\u00e9\u2026 Quand on est entr\u00e9 sur le terrain, on avait encore la bouche pleine, les jambes lourdes et des poches sous les yeux\u2026 Le gros pi\u00e8ge\u00a0!<\/p>\n Mais le truc le plus incroyable, c’est lorsqu’on est entr\u00e9 sur le terrain. C’\u00e9tait dingue ! C’\u00e9tait magnifique ! La pelouse d\u2019un vert \u00e9meraude, le ciel immens\u00e9ment bleu, de grands cypr\u00e8s qui bordaient le stade, c\u2019\u00e9tait EBLOUISSANT\u00a0! Pour des petits Parisiens, c\u2019\u00e9tait du jamais vu. Ce jour l\u00e0, j\u2019ai compris ce qu\u2019\u00e9tait la terre du rugby. Et puis le stade \u00e9tait plein \u00e0 craquer et cette rumeur qui enflait des tribunes, les fanfares, les drapeaux, tout \u00e7a\u2026 Une exp\u00e9rience magique. C’est un souvenir que je dois au SCUF et qui mourra avec moi. Au coup d\u2019envoi, je pleurais comme un veau tellement c\u2019\u00e9tait fort comme \u00e9motion. Apr\u00e8s, je ne me souviens de rien.\u00a0Le trou noir. Tout le match en apn\u00e9e. On a perdu mais avec les honneurs, parait-il. Les joueurs de Pau sont venus nous voir \u00e0 la fin du match et ils nous ont dit que pour des Parigots, on s\u2019\u00e9tait bien battu. Un super hommage\u00a0! Apr\u00e8s, ils nous ont invit\u00e9 \u00e0 venir au bal qui se donnait sur une place de Pau. Ca s\u2019est fini en distribution de ch\u00e2taignes, comme un rituel entre gar\u00e7ons. Bon, c\u2019est pas ce que je pr\u00e9f\u00e9rais le plus dans le rugby\u2026<\/p>\n <\/p>\n \u2013 Jusqu’a quand es tu rest\u00e9 au SCUF ? As tu gard\u00e9 des contacts avec des joueurs de ton \u00e9poque ?<\/strong><\/p>\n J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 juste avant de passer junior. Comme je l\u2019ai dit, le lyc\u00e9e, les filles, d\u2019autres centres d\u2019int\u00e9r\u00eat\u2026 Et puis, je n\u2019\u00e9tais pas assez bon pour continuer. Faut \u00eatre lucide. Il faut conna\u00eetre ses limites\u2026 Passer junior aurait demand\u00e9 un investissement personnel que je n\u2019\u00e9tais pas pr\u00eat faire. C\u2019\u00e9tait un vrai choix. Il faut croire que d\u2019autres aventures m\u2019appelaient\u2026 Il y avait un joueur dans notre \u00e9quipe\u00a0: on voyait qu\u2019il irait loin. Ce n\u2019\u00e9tait pas qu\u2019il \u00e9tait costaud, c\u2019est qu\u2019il avait une tonicit\u00e9 incroyable. Moi (et quelques autres), on ne pouvait pas rivaliser. Je sais qu\u2019il a continu\u00e9 au SCUF et j\u2019aimerais bien savoir ce qu\u2019il est devenu, s\u2019il a fait un peu, beaucoup ou pas du tout carri\u00e8re. Mais impossible de me rappeler son nom. Hormis mon pote Philou, je ne me souviens d\u2019ailleurs d\u2019aucun nom des copains. Et je n\u2019ai gard\u00e9 aucun contact avec personne. Nous venions tous d\u2019horizons diff\u00e9rents, de milieux sociaux parfois aux antipodes, d\u2019arrondissements parfois tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9s, etc. C\u2019\u00e9tait l\u2019\u00e9quipe qui nous r\u00e9unissait. C\u2019\u00e9tait le SCUF, le maillot, les matches et les entrainements, le rugby… En dehors, on \u00e9tait trop jeunes pour se voir. Il y avait les parents, etc. Si on avait continu\u00e9, nul doute que certaines amiti\u00e9s auraient perdur\u00e9. C\u2019est comme \u00e7a. C\u2019est loin tout \u00e7a\u2026 Mais je me rappelle notre chanson f\u00e9tiche\u00a0: c\u2019\u00e9tait un truc pourri qui s\u2019appelait Kung Fu Fighting<\/a>, de Carl Douglas. Je l\u2019ai toujours dans mes play-lists et quand le mode al\u00e9atoire le diffuse, \u00e7a me rappelle cette \u00e9poque.<\/p>\n \u2013 Tes \u00e9crits sur le virage pris par le rugby dans les ann\u00e9es 90′ sont tr\u00e8s proche du parcours pris par le SCUF. A la fin des ann\u00e9es 90″, le SCUF, dont les valeurs reposent toujours sur l’amateurisme et le b\u00e9n\u00e9volat, a connu une rapide d\u00e9gringolade dans les divisions inf\u00e9rieures du championnat. A d\u00e9faut de se r\u00e9jouir des r\u00e9sultats, j’imagine que \u00e7a doit te faire plaisir que ton vieux club ait su garder la t\u00eate haute face aux d\u00e9mons de l’argent ?<\/strong><\/p>\n En fait, ma vie m\u2019a entrain\u00e9 par monts et par vaux et si je n\u2019ai jamais oubli\u00e9 mes ann\u00e9es rugby, je n\u2019ai pas vraiment suivi l\u2019histoire du SCUF. Pour avancer dans sa vie, il arrive qu\u2019on coupe avec son pass\u00e9, sans jamais le renier bien s\u00fbr que non\u2026 Mais ce que tu me dis du SCUF ne m\u2019\u00e9tonne pas et, oui, cela me fait plaisir. Sans doute le prix \u00e0 payer est-il cher (une esp\u00e8ce d’injustice…), mais le rugby, c\u2019est un esprit. C\u2019est une esp\u00e8ce de don de soi pour les autres. C\u2019est un JEU\u00a0! Pour moi, la professionnalisation du rugby (en 1995) a cr\u00e9\u00e9 les conditions d\u2019un divorce entre le fond et la forme du rugby. Quand Laporte<\/a> est arriv\u00e9 apr\u00e8s l\u2019un des plus beaux exploits du XV de France (la demi finale de Coupe du monde gagn\u00e9e contre les N\u00e9o-Z\u00e9landais de Jonah Lomu<\/a> en 1999), une m\u00e9tamorphose d\u00e9sastreuse a eu lieu. Il y a eu un rejet de ce qu\u2019\u00e9tait le jeu \u00e0 la fran\u00e7aise pour un jeu soi-disant moderne, c\u2019est-\u00e0-dire un jeu \u00e0 l\u2019anglaise, un jeu de d\u00e9fense, un jeu qui a tellement peur de perdre qu\u2019il ne sait plus gagner, un jeu o\u00f9 les joueurs sont tellement d\u00e9responsabilis\u00e9s (\u00ab\u00a0pas de faute\u00a0!\u00a0\u00bb) qu\u2019ils n\u2019osent plus prendre de risque, etc. Trop de pression, trop d’enjeux, trop d’argent… tout \u00e7a inhibe. Tout \u00e7a emp\u00eache de jouer. D’ailleurs, on ne parle plus de \u00ab\u00a0jouer\u00a0\u00bb, on parle de \u00ab\u00a0produire du jeu\u00a0\u00bb, ce qui n’est pas la langue du rugby mais celle de l’\u00e9conomie. Bon, je ne suis qu’un amateur, mais j’ai toujours pens\u00e9 qu\u2019il y avait une possibilit\u00e9 de faire \u00e9voluer le rugby fran\u00e7ais dans le respect du jeu qu\u2019il \u00e9tait le seul \u00e0 pratiquer parce qu\u2019il \u00e9tait le jeu qu\u2019il s\u2019\u00e9tait trouv\u00e9 \u00e0 force de victoires et de d\u00e9faites h\u00e9rit\u00e9es de pr\u00e8s d\u2019un si\u00e8cle d\u2019histoire. Mais non, le jeu \u00e0 la fran\u00e7aise a \u00e9t\u00e9 d\u00e9mantel\u00e9 comme on d\u00e9mant\u00e8le une entreprise, on l’a coup\u00e9 de son histoire et c\u2019est juste profond\u00e9ment d\u00e9primant. Donc, oui, je pr\u00e9f\u00e8re les amateurs et la joie qui les anime. C\u2019est quoi un professionnel\u00a0? C\u2019est quelqu\u2019un qui tue quelqu\u2019un d\u2019autre en disant que cela n\u2019a rien de personnel. Moi, j\u2019aime justement qu\u2019il y ait quelque chose de personnel, sur un terrain de rugby ou ailleurs\u2026<\/p>\n Sur un plan plus personnel, j\u2019aurais d\u00fb mal \u00e0 identifier ce que je dois au SCUF et \u00e0 ce que j\u2019ai appris l\u00e0-bas, mais\u00a0 je suis persuad\u00e9 que je dois en partie \u00e0 ce club l\u2019homme que je suis devenu. Quand j\u2019\u00e9cris, dans le Dossier M, que j\u2019aimerais que chacune de mes phrases d\u00e9crivent une s\u00e9quence de jeu aussi f\u00e9\u00e9rique que celle qui, lors d\u2019un Angleterre-France de 1991, vit Blanco relancer depuis son en-but et, 34 secondes plus tard, Saint-Andr\u00e9 aplatissait pour un essai de plus 110 m\u00e8tres, c\u2019est vrai. C\u2019est un hommage discret au SCUF. C\u2019est fa\u00e7on de payer ma dette\u00a0! Comme je le dis aussi\u00a0: \u00ab\u00a0Je n\u2019\u00e9cris pas, je fais mon match\u00a0\u00bb. C\u2019est dire \u00e0 quel point mes ann\u00e9es au SCUF m\u2019ont marqu\u00e9, bien au-del\u00e0 du simple jeu de rugby. C\u2019est ici qu\u2019on peut parler de philosophie de vie (ah ah ah).<\/p>\n <\/p>\n \u2013 Comme tous les anciens, es tu du genre \u00e0 te r\u00e9jouir lorsque tu aper\u00e7ois rapidement le maillot noir&blanc lors de la remise du Boublier de Brennus ?<\/strong><\/p>\n Ah oui\u00a0! M\u00eame si je n\u2019ai pas beaucoup l\u2019occasion de le voir\u2026 Mais je vais peut-\u00eatre me rattraper\u00a0! En tout cas, j\u2019aimerais bien r\u00e9cup\u00e9rer un maillot tel que je le portais. Tout noir avec une grosse bande blanche. Je jure que je le porterais dans la vie civile\u00a0!<\/p>\n <\/p>\n \u2013 Dans tes \u00e9crits, on a l’impression que tu ne te r\u00e9gales plus dans le rugby d’aujourd’hui o\u00f9 l’on pense d’abord \u00e0 d\u00e9fendre avant d’attaquer. Est ce que tu es toujours devant ta TV lors des matchs de l’Equipe de France ?<\/strong><\/p>\n Bon, j\u2019ai assez dit le mal (la tristesse plut\u00f4t) que je pense de l\u2019\u00e9volution du rugby depuis qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 lomou\u00efs\u00e9. Car tout est venu de Lomu, finalement. Avec quinze b\u00e9b\u00e9s Lomu dans son \u00e9quipe, on s\u2019est dit qu\u2019on gagnerait \u00e0 tous les coups et voil\u00e0 le r\u00e9sultat\u2026 Je pr\u00e9cise que je ne parle pas de l’homme Jonah Lomu. Je ne parle pas des joueurs. Eux, je ne les accable pas du tout. C’est ce qu’on fait d’eux qui m’accable. A ce propos, il y avait quelque chose de g\u00e9nial dans le rugby lorsque j’en ai fait, c\u2019est que tous les gabarits pouvaient trouver leur place. Les gros comme les malingres, les grands comme les petits comme moi, etc. C\u2019\u00e9tait une esp\u00e8ce d\u2019id\u00e9al social\u00a0! Personne n\u2019\u00e9tait exclu a priori\u2026 Et, sur le terrain, ce n’\u00e9tait pas une utopie\u00a0: c’\u00e9tait r\u00e9el. Cela dit, je continue de regarder les matches du XV de France \u00e0 la t\u00e9l\u00e9\u00a0; mais en levant les yeux au ciel toutes les cinq minutes. Ah Dallas, ton rugby impitoyable, vous allez adorer le d\u00e9tester…\u00a0 Mais gr\u00e2ce \u00e0 internet, je regarde surtout les moins de 20 ans et les filles. Je trouve g\u00e9nial comment elles jouent. Elles m’\u00e9patent. Sans rien c\u00e9der sur le combat, elles retrouvent l\u2019essence du\u00a0 rugby, qui est de se faire des passes, de cavaler, de trouver des intervalles… Ce qu\u2019elles font est tr\u00e8s technique. C’est joyeux. Ce n\u2019est pas seulement une \u00e9preuve de force. Ce n’est pas ce fichu culte du plus fort. Avec elles, on peut dire que les meilleures ont gagn\u00e9 alors que, chez les gar\u00e7ons, on dit aujourd’hui que ce sont les plus forts qui ont gagn\u00e9 et cela veut tout dire\u00a0! Et l\u00e0, les Bleues viennent de remporter leur cinqui\u00e8me grand chelem\u00a0! Bravo \u00e0 elles\u00a0! Et bravo aux moins de 20 ans qui ont remport\u00e9 le tournoi des VI nations, en r\u00e9ussissant \u00e0 marquer en deuxi\u00e8me mi-temps un bel essai leur assurant le point de bonus de la gagne. Bravo aussi \u00e0 eux. Bon, maintenant, j\u2019entends dire que les filles pourraient passer professionnelles\u2026 Le d\u00e9but de la fin\u00a0? En tout cas, je n’ai jamais cru qu’on donnait le meilleur de soi-m\u00eame pour de l’argent. C’est la fraternit\u00e9 qui transcende. C’est quelque chose d’impalpable, justement.<\/p>\n <\/p>\nGregoire Bouillier<\/strong>, une jeunesse pass\u00e9e sous les couleurs du SCUF et un \u00e9crivain contemporain r\u00e9compens\u00e9 du Prix de Flore en 2002 et du prix D\u00e9cembre en 2017. Son dernier ouvrage \u00ab\u00a0Le dossier M\u00a0\u00bb traite justement de son pass\u00e9 de rugbyman et de sa vision du rugby actuel<\/p>\n
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