Pierre BOUTEILLY


Quelle histoire …. !
Au revoir, Maître Pierre.
Nombreux étaient les amis de Pierre, venus le saluer une dernière fois en ce mercredi 2 février, transcourants, transgénérations, tous partagés entre la tristesse et les souvenirs d’une époque qui s’enfuyait. Pour le SCUF, il était une figure historique, son rôle fut essentiel et nous allons vous narrer cette vie.


Pierre, animateur, organisateur, maître des Sciences, avait débuté dans cette phalange, l’équipe de rugby de l’AS Sciences, au début des années 1960 avec les trois B, Pierre Bidou, Jean-Pierre Banzet et Pierre Bouteilly. Jean-Pierre Petitet faisait aussi partie de cette première équipe historique qui arpentait les « prés » de Pershing ou Bagatelle, selon la formule consacrée « un pelé et quinze tondus ». Il faut dire que la rive gauche était le domaine de l’Université où les équipes sportives se retrouvaient au fil des nuits dans des endroits qui allaient devenir des lieux incontournables : Polydor, le Bienvenu, le Buisson Ardent, le Mayflower puis le Harry’s Bar rive droite… hum !
Nous étions bercés par les campagnes électorales du professeur Duconneau et son disciple Ferdinand Lop dont le programme était fondation d’une école au Péloponaise pour garçons coiffeurs,- extinction du paupérisme après 10 heures du soir,- prolongement de la rue Champollion jusqu’à la mer dans les deux sens,- suppression des lois scélérates telles que loi de Joule et de Mariotte. La vie était à nous, la piscine de Chazelles, lieu de rencontres de soirées parisiennes où le SCUF recevait, fit beaucoup dans la progression et l’approfondissement des rapports…… réciproques.

Jouer au rugby, c’est bien, mais pratiquer avec des copains c’est mieux. Les Sciences avaient une particularité qu’ils ont gardée, ils ne pouvaient pas vivre séparément été comme hiver (Calvi, Chamonix, les Arcs………) le collectif l’emportait. Aussi si le mercredi les rencontres avec le Droit ou les autres leur apportaient un certain bonheur, elles ne les contentaient pas, malheureusement ils étaient séparés le dimanche, certains jouaient en Club (Rcf, Edf, Puc), le plaisir suprême n’était pas encore atteint. Alors, Pierre Bouteilly eut cette intuition géniale et ne se trompa point, le SCUF allait devenir le prolongement de l’AS Sciences à l’intérieur du club, continuer à jouer ensemble tout en regardant prudemment la vie du Club dans un premier temps. L’avant garde fut constituée de deux garçons Corbier et Eskenazi et après arriva Maître Pierre et ses amis. Pas un ne manquait à l’appel, soit plus d’une vingtaine de joueurs, les mutations furent promptement signées et enregistrées. Pour l’anecdote, J.P. Sonois jouait à l’Edf et était un dernier à signer, aussi pour accélérer le mouvement, Pierre lui demanda, un soir au Harry’s Bar sa signature sur un ticket de métro, trois jours après son dossier était complet et expédié. Nous n’étions pas informatisés mais les délais étaient très courts.

Pierre Bouteilly, 2nd en haut à gauche…

Avec l’arrivée des Sciences, le SCUF avait son second appui, les deux composantes étaient réunies : le Droit et les Sciences. A cette époque des années 1970 le SCUF était le véritable Club universitaire et s’imposait sur la scène parisienne en diurne et en nocturne. Nous voguions allègrement en Fédérale 3 et présentions cinq équipes seniors où le jeu primait l’enjeu.
Le jeudi les violets des Sciences s’opposaient aux noir et rouge du Droit, le dimanche ils étaient tous ensemble revêtus du maillot noir et blanc. En outre ils avaient amenés les basketteurs avec Roger Tueta, seule l’équipe féminine de volley ne vînt pas, mais cela est une autre histoire…….
Ils furent incontestablement à l’origine du renouveau du SCUF, juristes et scientifiques partageaient la même philosophie entretenue au club : sport, saines rigolades et amitiés.
Dans ces années 1970, l’équipe Bouteilly était née et devint la Boutiga (Bouteilly, Igarza) aux exploits multiples. Si au début le bon de sortie était difficile pour venir jouer en première ou se déplacer à Stratford le noir et blanc devint le ventricule de nos amis « violets », l’équipe fut ouverte aux scufistes, l’osmose était totale. Des bons joueurs, de grands dirigeants, une présence sans faille, une transmission de l’idéal de génération en génération, tous les enfants éduqués selon les principes qui ne souffrent pas de contestation, à savoir : – tu veux choisir ton sport ? Oui, ça sera le rugby.
Tu veux le pratiquer ? Oui, ça sera au SCUF.
Une nouvelle fois ils ne se quittèrent plus, et affectueusement nous les appelons toujours les Sciences.
Pierre fut à l’origine, imprima sa philosophie, son amour d’être ensemble. Homme chaleureux, accueillant, aimant la vie, toujours prêt à lancer un trait d’humour ou un jeu de mots souvent malicieux, quelquefois acide mais jamais empreint de méchanceté, il fut toujours présent aux moments difficiles. Au SCUF il fut joueur, capitaine, dirigeant, membre du Conseil d’Administration du SCUF et il créa la section Golf dont il fut le président actif pendant de nombreuses années en laissant la journée du SCUF beaujolais comme un rendez-vous incontournable. Aimant les amis, sa cave soigna de nombreux gosiers scufistes, son plaisir était de recevoir et de rendre les gens heureux, il pensait comme Rabelais que « le jus de la vigne clarifie l’esprit et l’entendement, chasse tristesse, donne joie et liesse » et ce fut souvent le cas.
Que l’actuelle génération et les nouvelles se souviennent de ce garçon qui a consolidé le club et transmis non seulement ses valeurs à ses enfants mais aux autres. En ce 2 février 2011 il n’y avait plus le Droit et les Sciences mais tout un Club conscient que ces derniers temps il s’était mis à l’écart
du monde, sa carcasse l’accablant de misères, la maladie ayant commencé son compte à rebours. Avec Lise, Antoine et Hélène nous vous  accompagnons dans cette douleur profonde. Chacun retourne à son chagrin mais en pensant à Pierre nous faisons nôtre cette pensée de Saint Augustin :
« NE SOYONS PAS TRISTE DE L’AVOIR PERDU SOYONS HEUREUX DE L’AVOIR CONNU ».
AU REVOIR MAITRE PIERRE
le SCUF


Vous trouverez ci-dessous les mots prononcés par notre président Omnisports, Pascal Wagner lors de la cérémonie des adieux qui eu lieu le 2 février 2011 à l’église de Champcueil pour rendre un dernier hommage à Pierre bouteilly

« Pierre,
Ce ne sont pas des fleurs que la Camarde peut te reprocher d’avoir semé dans les trous de son nez ou alors, ce sont des fleurs de rhétorique, de celles qui lui signifiaient, verbalement et vertement, qu’elle pouvait continuer à te tourner autour, que tu la regardais en face mais que ta pensée l’ignorait. Pourtant, son « zèle imbécile » a eu le dessus et c’est chèrement que tu as payé le prix de ta liberté. Car, je ne doute pas un seul instant que c’est en esprit libre, en penseur libre, expression que je préfère de loin à celle de
libre penseur, que tu as fait tes choix et ton choix était respectable. C’est donc avec respect que toute ta famille ainsi que la grande famille scufiste sont là, aujourd’hui, pour te rendre un dernier hommage et que j’ai le triste privilège de parler au nom de tous les scufistes et de tous tes amis, qu’ils soient présents ou pas.
Avec un personnage de ton gabarit, l’exercice est difficile et d’autant plus difficile qu’à tout moment je crains d’entendre une de ces réflexions caustiques dont tu avais le secret pour me ramener à l’essentiel. Car, je crois que pour toi, il était essentiel de savoir, à un moment, ramener les choses à leur juste valeur et leur donner la place qui convient. C’était avec humour que tu savais le faire, même si au sein du SCUF, cet humour n’excluait pas une certaine vacherie. Le Directeur d’école que tu fus, savait que l’adage latin « qui bene amat, bene castigat » avait une valeur autre que strictement
éducative et que dans les relations de groupe qui dominent au sein d’un club sportif, l’affection ou l’amitié n’exclut pas d’avoir la dent dure et de croquer la victime avec le même bel appétit dont tu croquais la vie. Tout Président que je sois et toujours avec grand respect, tu savais manifester cet irrespect de bon aloi qui donne au compliment sa vraie force et confère à l’amitié sa vraie valeur, celle de l’authentique. Car seuls ceux qui savent rire d’eux mêmes sont capables de railler les autres sans tomber dans la
petitesse ou la bêtise. Sans la liberté de railler, l’éloge est ailleurs…….
En tant que joueur, tu as fait partie de la génération scufiste qui rétablît l’équilibre entre la lettre et le chiffre. Homme de sciences, tu es venu battre en brèche l’omniprésence du droit dans la filière scufiste mais la liberté restait toujours le maître mot. Je laisse la parole à un expert es Sciences (mais fin connaisseur des Lettres) pour évoquer cette période post soixante huitarde qui marqua l’entrée des joueurs de la fac des sciences au SCUF : « le lieu de rencontre privilégié de ces étudiants agités était le terrain de
rugby du mercredi….La simple victoire n’en était pas l’enjeu. Il y avait aussi un désir inconscient d’affirmer la prééminence de telle filière universitaire par rapport à l’autre. Certains matches étaient incontournables et ne se terminaient pas toujours à quinze contre quinze. » Il ajoute, parlant toujours des hôtes de la Halle aux vins « Ces rencontres d’après matches étaient d’autant plus nécessaires que notre intégration au SCUF n’était à l’origine que partielle. Forts d’une vanité dérisoire, nous avions souhaité et
obtenu de créer un club dans le club, labellisé « Sciences » ou Boutiga (Bouteilly /Igarza du nom de ses co-responsables) Un document non écrit (sic) stipulait que l’acceptation de l’un de ses membres de pactiser avec l’équipe première était soumise à un exeat consensuel ».
Je n’ai pas connu cette époque là mais il ne fallait pas longtemps au jeune scufiste (par l’ancienneté) du début des années 80 pour appréhender rapidement les traces indélébiles de cette guerre entre les Horace et les Curiace, car finalement vous étiez frères en rugby. En y repensant, mes réminiscences évoquent plutôt les guerres Picrocholines tant les personnages en question semblaient sortir directement de l’imagination de Rabelais.
Pierre, tu avais en toi du héros shakespearien et Stratford upon Avon semble un passage bien naturel qui s’apparente à un retour aux sources. Mais quoiqu’issu de la filière scientifique, tu aimais le verbe et ta filiation rabelaisienne me paraît évidente. Le « Fais ce que veux » inscrit au fronton de l’Abbaye de Thélème » aurait pu être ta devise personnelle mais je doute que tu aies poussé l’humour jusqu’à en faire la devise de ton école.
La Boutiga était aussi une belle école, école de rugby mais aussi école de vie. Une école où se forment les individus et où se forgent les caractères. L’un de ceux passé par ce moule n’hésite pas à affirmer en parlant de toi : « Sans lui, beaucoup de joueurs, et je suis du nombre, n’auraient pas signé au SCUF et, la Bouteilly était sans nul doute l’équipe la plus formatrice, dans tous les
sens du terme, de notre club déjà unique ».
Quel plus beau compliment peut on trouver pour résumer une vie  consacrée à travailler la pâte humaine pour en exprimer le meilleur. Toujours dans cette lignée, tu fis école en prenant la Présidence de la section golf du SCUF et en participant aux travaux du comité exécutif dont tu étais membre. Ajoutons à cela que ta maison – et je parle ici de tes différentes maisons – fut toujours un lieu d’accueil pour les fêtes scufistes et que le maître de céans, toujours digne, y exerçait sa gentillesse tutélaire et sa bienveillante autorité.
Car au delà du personnage Shakespearien ou Rabelaisien que tu pouvais rappeler, il y avait aussi ton côté Statue du Commandeur par cette sagesse que te conférait une barbe aussi fournie qu’elle avait blanchi avec le temps. Nos civilisations ont toujours associé la barbe au caractère farouche ou à la sagesse et la tienne, avec le temps et ta bonhomie naturelle, semblait te faire pencher vers la sagesse plutôt que vers la rudesse des anciens combats estudiantins. J’ai néanmoins plaisir à penser que, sous cette ultime métamorphose de père et de grand-père noble, tu avais gardé au fond de toi
la flamme des grands enfants, toujours disponibles pour la facétie et toujours prêts à une ultime pied de nez aux choses trop bien établies, aux conventions trop vite acceptées ou aux renoncements trop faciles.
Aujourd’hui tu laisses ton épouse Lise, tes enfants Hélène et Antoine, ta petite fille Eloane et toute ta famille dans la peine. Tu laisses tes amis avec le sentiment d’un vide immense. J’ai pour ma part un souvenir marquant de nos relations. Il y quelques années de cela, alors que je célébrais en famille et entre amis mes 50 ans, tu m’avais dit, au milieu des livres paternels, combien tu avais apprécié de faire partie du nombre des invités en dépit de nos trajectoires et de nos âges différents. La réponse était pourtant
évidente. Quand la vie vous donne la chance de ces rencontres improbables entre individus aux profils et aux horizons divers, bien fou serait celui qui passerait à côté sans goûter, avec gourmandise, à un tel bonheur d’amitié.
Trop vite, trop tôt, voilà les pauvres mots qui nous restent pour dire combien, Cher Pierre, nous aurions aimé, longtemps encore,
communier avec toi au banquet de la vie. »

Pascal Wagner