« La Génération essuie glace »
JUNIORS
2004 – 2006
Il est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… le SCUF en ce temps là n’avait pas vu un jeune bachelier en Senior depuis la génération de Vincent BARBE, noble viking qui a depuis peu raccroché ses oripeaux. Pour vous dire à quel point les seniors n’avaient plus l’habitude de côtoyer des jeunes, ou plutôt des jeunes qui parlent et qui marchent, puisque la plupart commençaient déjà à se reproduire. Mais cette relation unilatérale avec leurs bambins baveux ne pouvait pas compter comme un rapport avec la « jeunesse » comme l’entendent les journaux du soir. Pourtant, au sein du club, le millésime mis en bouteille en 1987-1988 fermentait en noir et blanc. Les entraînements aux phares des scooters 49.9 CC à Carpentier, les délocalisations de stade, le nomadisme, ou encore les douches froides en hiver – qui empêchaient cela dit les abcès que provoquait un match à Max Roussié dit « le marais de Saint-Ouen » – donnaient à cette génération le goût du rugby amateur et l’humilité légendaire du parisianisme scufiste.
Des seniors, les jeunes de la «7» et la «8» n’en connaissaient que leurs anciens maillots : « outre nous donner une allure délicieuse sur les plumes de Carpentier, ils nous permettaient de nous couvrir les jambes en période de grand froid et d’éviter les coups de soleil en été. Bref, nous avions des contacts avec Monsieur Laguerre et sa politique de rationalisation des coûts. Politique atteignant son paroxysme en fin de saison lorsque nous le voyions débarquer pour réclamer la dîme et la gabelle. Heureusement, notre anonymat nous permettait d’opérer à des ruses finaudes« . On se souvient encore de ce dialogue improbable entre « l’homme au béret noir » (nous ne connaissions pas encore son nom) et un joueur dont nous tairons l’identité le temps que la prescription fiscale soit effective. « C’est toi XXXXX ? » « Non, moi c’est Georges, Georges Pompidou » « Ah et il est où XXXX ? ». Bref, nous portions déjà la flétrissure noire et blanche.
Mais les années insouciantes de l’école de rugby ne sont pas éternelles, et le temps des adieux arriva. Les 87 furent séparés des 88. Si la question se posait à certains de monter en senior, Tanguy GESTIN notre immortel capitaine trancha pour nous, et un premier groupe monta indubitablement en « + de 19 ans » (2006).
-_-_-_-_-_-_ Focus – – – –
Terminant par une fin de saison inoubliable, passant par les 8ème de finale Balandrade à Tournus, puis s’arrêtant à Pampelune pour un match d’exhibition contre l’équipe locale – club de l’ami Javier Gambarte, co-organisateur de la rencontre – il était impensable que la dream-team des juniors du SCUF s’arrête en si bon chemin.
L’aventure humaine du dimanche à 15 heures devait continuer coûte que coûte, et ce malgré le dernier discours de l’entraîneur Philippe Begue : « Si vous continuez comme ça, à 30 ans on vous envoie des fleurs ! » Il y eu donc un choix crucial pour la génération 1987 qui montait en Senior : continuer notre quête sous la teinte noire et blanche, ou raccrocher les crampons. Une partie du groupe fût déchirée. Mais Tanguy Gestin (capitaine), Adrien de Liedekerque-Beaufort (le belge) Hugo Battoue changèrent de catégorie, non sans appréhension.
C’est alors que nous découvrîmes les personnages les plus charismatiques de l’époque, de l’équipe dirigeante au staff quelque peu remanié aujourd’hui, et bien sûr des irréductibles joueurs très attachés à leur numéro de poste. L’intégration passa par notre envie : un énorme engagement sur le terrain, et une omniprésence aux 3ème mi-temps. Nous avions 19-20 ans, c’était relativement facile, d’autant plus que nous disposions du temps pour le faire grâce à la souplesse des horaires de la fac. Notre assiduité aux entraînements nous valu en quelques mois, notre place en équipe 1ère (titulaire, parfois remplaçant) pour vivre des matchs extrêmement serrés et un peu folkloriques. L’entraîneur de l’époque Michel BONTHOUX s’arrachait les cheveux le dimanche après-midi : « Une équipe de votre niveau devrait passer en fédérale 3 ! » C’était vrai. Mais jouer était certainement prioritaire sur la victoire, et nos quelques défaites ne nous empêchaient de refaire le match le dimanche soir, jusqu’à très tard.
Hugo Battoue se souvient du moment où après son premier match amical, un certain Renat’ (Jerome RIBOULET) qu’on ne présente plus, lui dit : « Hey, tu connais le Pousse ? Non ? On va te montrer le Pousse« . Vu l’expression sur le visage du loustic, Hugo ne se doutait même pas que c’était un bar… Ouf, s’en était un. L’intégration fût donc rapide grâce à un accueil plus que chaleureux de la part des vétérans. On nous répétait souvent : « Ça fait longtemps qu’une génération du juniors n’est pas montée. » La dernière datant des mythiques Lacaze, Augé, Barbe, Connolly et leurs potes il me semble, mais nous n’étions pas né à l’époque. C’était comme si le SCUF nous attendait. Lionel BUSSON nous embrassait chaque fois qu’il nous voyait et tout le monde nous payait des coups, on organisait même les soirées annuelles du club. À l’entraînement, Tanguy « capitaine » était remarqué pour ses qualités techniques, Adrien « le Belge » pour sa fougue et son potentiel, et Hugo « le rigolo » pour sa qualité de chien fou et surtout ses lancers en touche. On se souvient encore du jeudi soir où sur une nouvelle combinaison en touche, le Belge fît un départ comme une balle, dans le mauvais sens du terrain… Au même-titre que l’assimilation du timing du lancer : « – Hugo quel temps ? – Venteux, légèrement pluvieux« . C’est le genre de marrades qui contribua à la légende de « la Génération essuie glace». Pour l’étymologie, cette expression nous vient tout droit de l’ami Laurent Laguerre, qui nous voyait courir dans tous les sens le dimanche après-midi. D’après Florent Lazzerini, plus affectueux, nous avons également décrassé le pare-brise du SCUF. Cependant, trois joueurs ne peuvent faire la différence sur le long terme, aussi, à la fin de saison, nous disions à nos nouveaux collègues : « Ne vous en faites pas, les «88» arrivent en septembre ».
-_-_-_-_-_-_ Transition – – – –
Un soir de septembre, à l‘époque où l’on pouvait encore fumer dans les rades, la nuit tombait lourdement. Nous étions une petite bande représentative et traînions dans un repère sombre, lugubre et malodorant.
Doume nous offrait pour la première fois sa bouteille de whisky avec un sceau de glaçons creux, facilement brisable avec le front. Nous trinquions sagement à la saison qui recommençait et aux retrouvailles des copains lorsque nous aperçûmes dans la pénombre une silhouette au crâne dégarni. L’homme, manifestement la soixantaine bien fêtée, trainait sans effort une jambe de bois qui en disait long sur son passé de boucanier de contrebande.
Le “Toc. Toc. Toc.” se rapprochait et de grands yeux bleus jaillissaient dans les ténèbres comme deux phares sur une route de campagne. Un pouce, tendu vers nous comme un crochet, menaçaient peu à peu notre espace vital. Nous l’observions immobile et curieux, comme tétanisé par cet étrange rencontre. Lorsqu’il attrapa le premier d’entre nous par la chemise au niveau du ventre, son haleine chaude vint lui caresser la joue et de ses lèvres humides sorti sa voix rocailleuse qui glissa cette douce mélodie : “Salut minot ! Viens là que je te bise.”.
C’est alors que nous fîmes la rencontre de Monsieur Jpépette (LeBalch’), à qui nous sommes à jamais liés, car dès ce soir là, il fut marqué au fer rouge par la signature de notre pacte de jouvence : un trou rouge sur le coude gauche.
-_-_-_-_-_-_ Suite (2007)– – – –
Puis, ce fut au tour des 1988 de se montrer, mais si pour certains comme Pierre Baigts, Raphael Gibert et Alexandre Darmon la montée était acquise, pour d’autres les problèmes s’annonçaient. En effet, dans les heures noires du SCUF, l’école de rugby était alliée avec l’USO Massif-Central ; la fournée des 87 ne comprenait pas d’affiliés auvergnats, mais pour les 88 un nouveau déchirement allait se produire. La règle voulait qu’un junior Massif ou SCUF reste un an chez les seniors de son club avant d’envisager de rejoindre le club adverse (adversité extra-sportive puisqu’à l’époque l’USOMC jouait un échelon au-dessus du SCUF). Mais cette affiliation très relative était donnée au premier jour de l’entraînement où le dirigeant le plus rapide au dégainage de stylo s’appropriait la paternité du joueur.
Cette réalité ne fut comprise que trop tard. Mais lorsqu’on a la majorité de ses amis qui portent le noir et le blanc, comment accepter de jouer pour d’autres couleurs ? Kevin Boualam (à l’époque) et Quentin Tissot se chargèrent de le rappeler aux administratifs, non sans mal, que l’amitié et un cœur scufiste ne peuvent être soumis à aucune transaction.
Ainsi, la saison 2007/2008 voyait notre génération bénite réunie. Nous jouâmes presque tous en 1ère sous la conduite de notre capitaine junior avec un maillot floqué « Pousse aux crimes« , dernier sponsor autorisé à salir notre armure. Une belle saison de promesses comprenant une première virée à Stratford, des bières, des rencontres et de la joie de vivre. Les années suivantes furent plus compliquées pour nous, comme vous le savez. Il y eu quelques divergences de points de vue, mais l’amour du rugby parisien en noir et blanc gagna à chaque fois.
A noter que dans notre sillage suivit la génération 89 des Bambou (Olivier Baugé), Théo Badia, G. Pomié, JB Gélis – qui remporta le « Trophée des 30″ en tant que capitaine en 2012 -. Puis celle des 90. Bref nous avons rebâti un pont entre les juniors et les seniors qui ne s’est jamais écroulé depuis notre première traversée.
Voilà l’histoire de la Génération essuie-glace comme certains les nomment. Mais un essuie glace ne permet il pas de tout nettoyer pour y voir plus clair ensuite ?
Tous les personnages cités au dessus regardent au dessus de leur épaule le parcours sportif qu’ils ont vécu en commun. Certains sont toujours là avec l’Equipe 3 ou parfois en Réserve, et d’autres ont continué leur route, une route qui parfois les a un peu trop éloigné du club. A regret certainement pour les intéressés, comme pour ceux qui préservent cet état d’esprit universitaire qui a rajeuni un club centenaire. Nul doute que cette génération saura être patiente et saura accueillir les générations de demain. Une tâche pas si hardue pour Adrien de Liedekerke-Beaufort, Tanguy Gestin, Hugo Battoue, Kevin Belin, Pierre Baigts, Quentin Tissot, Alexandre Darmon, Ben Montel, Tan Ivan Hua…