L’Odysée de PAU :
Le rugby ressemble parfois à une pièce de théâtre, à une tragédie grecque, avec ses héros, ses mythes, ses épopées. Celle de ce week-end de Pâques 2018 risque, à n’en pas douter, de rester dans les mémoires. Au moins dans celles des 16 joueurs vêtus du maillot noir et blanc flanqué du bouclier de Brennus et de leurs entraineurs.
Il est à peine 9 heures lorsque les acteurs enfilent leur costume. Le décor est grandiose : d’un côté se dresse le stade du Hameau, antre de la section paloise, de l’autre, les sommets enneigés des Pyrénées qui découpent un ciel bleu azur. C’est ici, au milieu des géants de cette terre d’ovalie, que les scufistes vont écrire leur histoire. En avançant vers le terrain, une pelouse grasse et boueuse, leurs regards se perdent de tous côtés et traduisent un mélange d’excitation et d’anxiété. Autour d’eux s’échauffent des formations dont le simple nom évoque les plus hauts faits du rugby hexagonal : Toulouse, Tarbes, Colomiers, Bègle-Bordeaux, Biarritz, Pau… Les certitudes acquises lors des semaines passées laissent peu à peu la place à un doute légitime mais finalement de courte durée. Après un échauffement dynamique, les joueurs se regroupent autour de leurs coachs ; liés les uns aux autres, soudés et silencieux, ils écoutent les dernières consignes, pour la centième fois répétées. Il est temps d’entrer en scène
Pour commencer, un premier sommet à gravir : Mont de Marsan. Dès l’entame du match, les joueurs nous rassurent, se rassurent : agressifs en défense, rapides et puissants balle en mains, ils étouffent les montois et marquent par trois fois, n’encaissant qu’une seul essai. Le pouce dressé de l’entraineur landais à notre attention sonne autant comme une reconnaissance que comme un encouragement. Le rideau et les doutes sont levés : notre place est bien ici et pas pour faire de la figuration !
Dix minutes de récupération et les scufistes remontent sur les planches, cette fois pour affronter les basques de Mauléon, qui avaient ouvert le bal en étrillant de bien belle manière les locaux. Ils ouvrent d’ailleurs la marque mais nos vaillants parisiens repartent à l’assaut et égalisent rapidement. Le match est rythmé, intense, indécis. L’arbitre siffle la fin de ce deuxième acte d’excellente facture sur un score de parité. Le public, connaisseur, applaudit et commence à s’interroger sur ses p’tits gars en blanc et noir dont le talent ne le dispute qu’au caractère et à l’envie dont ils font preuve.
A l’entame de la troisième confrontation, qui les oppose à la section paloise, les scufistes sont confiants. Pourtant, face à eux, se dresse un géant qui bouscule tout sur son passage, un Goliath du Béarn qui rend bien 20 kilos au plus lourd de nos joueurs ! Solidaires et courageux, ils ne le laisseront jamais passer mais ne parviendront pas non plus à enfoncer les lignes adverses, émoussés physiquement et manquant de lucidité au moment de porter le coup de grâce. L’opposition s’achève donc logiquement sur un score vierge de part et d’autre. Un peu rageant car il y avait de la place, avec moins de retours intérieurs et davantage de ballons envoyés vers les ailes.
Une victoire et deux nuls. Des résultats plus qu’honorables mais qui nous laissent à tous un goût d’inachevé. D’autant que la scène finale de la matinée est sûrement la plus dure à jouer, face à une équipe de Biarritz invaincue, impressionnante de talents et de maitrise collective. Les gorges se nouent, le silence s’impose, comme une évidence. Il n’y a plus vraiment de consignes à donner, c’est dans la tête et au fond des tripes que va se jouer la partie. Dès le coup d’envoi les scufistes montent comme un seul homme et agressent les biarrots, bataillent sur chaque ballons, chargent plein axe, déblaient, encaissent les placages appuyés de leurs adversaires, se relèvent et retournent au combat. Ils impressionnent par leur détermination, leur cohésion, leur audace et leur bravoure. Les valeurs et les vertus du rugby prennent soudainement corps. La représentation est splendide d’intensité. Les spectateurs ne s’y trompent pas et encouragent tous les acteurs présents dans l’arène ; on entend même quelques « allez les parisiens » aux accents de Bigorre retentir sur le bord du terrain ! A plusieurs reprises nous manquons de marquer, sans jamais y parvenir. Alors que le terme de la rencontre approche, notre demi de mêlée s’échappe sur le côté d’un regroupement, longe la touche, accélère avec ce qui lui reste d’énergie mais se fait reprendre à moins d’un mètre de l’en-but. Si proche. Les basques récupèrent la balle. La tension est palpable. Au bout de leurs forces, les scufistes ne lâchent rien. Les hors-jeu se multiplient, les pénalités s’enchainent et nous voici acculés sur notre ligne. Le match est terminé depuis plusieurs minutes mais l’arbitre se refuse à siffler. Peut-être car dans tout combat épique, il faut un vaincu et un vainqueur. Ce sera finalement Biarritz, sur un essai discutable, ce qui, de toute façon, importe peu. Les porteurs du Brennus s’effondrent, épuisés, terrassés. Les applaudissements d’Imanol Harinordoquy et les félicitations de Damien Traille, reconverti en éducateur poussin, n’y changeront rien. Nos p’tits gars sont en larmes, le corps endolori et le moral brisé. Ils n’ont pourtant pas à baisser la tête, bien au contraire. Certes, cette défaite nous relègue à une amère troisième place, mais elle vaut bien des victoires. Elle est de celles qui font grandir, qui transforment des gamins en géants et des matchs en épopée homérique. De celles que l’on racontent encore longtemps après, avec fierté et émotion. De celles qui font du rugby le plus beau des sports, le plus grand des spectacles.
C’est finalement la tête haute que nos scufistes sortent du terrain et se dirigent vers un repas bien mérité. Reprendre des forces, oublier la frustration, panser les petits bobos, digérer la défaite ainsi que les lasagnes et le roboratif browni servis par nos hôtes… Les sourires reviennent peu à peu sur les visages, les douleurs s’estompent et le plaisir d’être ensemble reprend le dessus. C’est toujours aussi groupés qu’ils sortent du réfectoire et retournent sur le pré (un autre, de bien meilleurs qualité d’ailleurs). Les corps sont fatigués et les esprits émoussés par les efforts du matin mais le spectacle doit continuer. Les éducateurs s’efforcent de remettre toute l’équipe en ordre de marche et chacun, petit à petit, reprend son rôle. Le programme de l’après-midi n’a pas grand-chose à envier à celui de la matinée : l’entente Bagnères-Baronnies, l’US du Canton de Pouyastruc et Oloron. Les objectifs sont clairs : faire vivre le ballon, s’amuser et gagner. En un mot : jouer.
Pour leur premier match contre l’entente des coteaux USCP, les noirs et blancs n’ont pas trop à s’employer. Ils retrouvent leurs jambes, cherchent les extérieurs et percent la défense adverse à cinq reprises. Les coachs font tourner et ceux qui avaient jusqu’alors patiemment attendu leur tour apportent leur pierre à l’édifice scufiste. La bonne humeur et la confiance sont de retour, le soleil brille, les parents et supporters profitent du spectacle. Le scénario est sensiblement le même contre les noirs de Bagnères-Baronnies. Victoire trois-zéro.
Place au dernier acte, avec les costauds d’Oloron pour nous donner la réplique. Dès la première action, le ballon circule de main en main et file jusqu’à l’aile : débordement, accélération, essai. Non! La bechigue échappe à notre trois-quart au moment d’aplatir… En avant, mêlée Oloron. La machine se dérègle alors peu à peu et le jeu devient brouillon. Les scufistes s’épuisent dans des monologues stériles, repiquent au centre et oublient de jouer dans les espaces laissés libres par nos adversaires. Nous avons beau leurs souffler – leurs hurler – d’utiliser toute la largeur du terrain et d’écarter la balle vers les ailes, rien n’y fait. Le score est de deux partout à quelques minutes du terme. La tension est remontée d’un cran. Nous gagnons le ballon, le perdons après une énième tentative solitaire, le regagnons et, dans un éclair de lucidité, lançons enfin l’offensive côté jardin. Une, deux, trois passes jusqu’à l’ailier qui met les cannes pour aplatir en terre promise. Victoire finale trois essais à deux, au bout du suspens, au bout d’eux-mêmes. Les noirs et blancs exultent et se congratulent. Cette union, ces sourires, c’est beau, tout simplement.
Le soleil brille toujours et le rideau retombe sur cette 17ème édition du tournoi de Pâques. Les scufistes, qui terminent 9ème de la compétition, ont fait honneur à leurs couleurs par leur état d’esprit irréprochable, sur et en dehors du terrain. Pour ce qui est des coulisses, vous connaissez l’adage : ce qui se passe à Pau reste à Pau !
Un décor somptueux, des acteurs monstrueux, un scénario haletant et un dénouement heureux… Du grand spectacle on vous dit ! D’énormes souvenirs surtout et une seule envie : revenir jouer l’année prochaine !!
Une Pièce de Julien R. S.