Il n’est pas de figure sportive plus curieuse que celle d’André Theuriet. Né le 29 mars 1887 à Lyon, il est le petit-fils du délicat romancier Claude-Adhémar-André Theuriet. Depuis l’âge de onze ans, il est un touche à tout du sport. Il s’est illustré, on peut le dire dans la plupart des branches du sport, et cela sans y être poussé par autre chose que l’esprit sportif et le souci de fortifier et assouplir son corps.
On peut citer : Motocyclisme, Tir, Marche, Canne, Boxe anglaise, Football (Capitaine du SCUF en 1921) , Cyclisme, Athlétisme (Champion de France scolaire), Hockey sur gazon, Cross country (Champion de France scolaire et Universitaire), Natation (Représentant français sur 1500 mètres nage libre aux Jeux Olympiques de Londres en 1908) et Water Polo (Champion de Paris 1909).
Il est doté d’un esprit estudiantin très prononcé. Une de ses joies est « d’emmerder » le contrôle des bateaux mouches en s’entraînant à la course de fond. Theuriet se présente à l’escale du Pont Mirabeau, demande à monter sans argent ni ticket. Il se fait refouler, et se met à courir le long de la Seine, plus vite que le bateau, se représente à l’Alma, à la Concorde, au Chatelet, à l’Ile St Louis jusqu’au pont d’Austerlitz, en posant la même question à ce même controleur à la fois furieux et stupéfait qui se demande comment ce jeune homme peut bien faire.
Il évolue dans la plupart des disciplines du SCUF Omnisport où il a prit sa première licence en 1902. Il est membre du Comité du SCUF de 1905 à 1908, puis à partir de 1921 jusqu’en 1965.
Mais c’est surtout en rugby qu’il a acquis sa grande notoriété et avec le SCUF qu’il a pu exprimer ses talents. C’est en 1905 qu’il rejoint le club de rugby de Charles Brennus, et fait ses armes auprès de Frantz Reichel. Avec ses 1m68 pour 67Kg, il sévit au poste de Demi de mêlée. Son sens du jeu et de l’attaque, lui permet d’intégrer dès 1904 l’équipe première et d’en devenir un titulaire indiscutable.
Ses prestations sont remarquées au plus haut niveau et il devient international en 1909 lors des Tests Matchs contre l’Angleterre et le Pays de Galles. Avec sa carte d’international n°42, il connaitra 3 autres sélections en 1910, 1911 et 1913 dans le cadre du Tournoi des V Nations. Il sera à de nombreuses reprises remplaçant lors de cette période, mais à cette époque il n’y avait pas de remplacement au rugby… Au niveau international, il est reconnu pour ses qualités en défense. On peut lire dans la revue « Plein Air » du 31.12.1909 : « Un des meilleurs demis de France, en tant que défense. Activité sans bornes, coup d’œil sûr. Retrouve toujours le ballon pour dégager ou passer ».
SES 5 SÉLECTIONS
Tournoi des V Nations – 1913 Angleterre – France 20 – 0 25/01/1913
Tournoi des V Nations – 1911 France – Pays de Galles 0 – 15 11/02/1911
Tournoi des V Nations – 1910 Ecosse – France 27 – 0 22/01/1910
Test Match – 1909 France – Pays de Galles 5 – 47 23/02/1909
Test Match – 1909 Angleterre – France 22 – 0 30/01/1909
Mais André est surtout une figure du SCUF. Il participe grandement à l’émergence au plus haut niveau du club. En 1911 avec l’équipe première il est champion de Paris. Pour la première fois, le SCUF devance ses deux grands rivaux que sont le Racing Club de France et le Stade Français. Malheureusement, il se blesse lors des phases finales. Le 7 avril 1911, il n’est que remplaçant lors de la finale qui oppose le SCUF au SBUC à Bordeaux devant 10 000 spectateurs. Son absence est préjudiciable dans l’organisation du jeu et les noir et blanc perdent 14-00.
A partir de la saison 1912 il devient capitaine de l’équipe 1 et avec l’arrivée de Lucien Besset à l’ouverture, ils constituent une des meilleures paires de demis de France. En1913, les avants scufistes pratiquent un jeu de passe efficace sous la baguette de « l’académicien » Theuriet et le club fait figure de favori dans la course au titre. En phase finale, le SCUF élimine le Racing Club de France puis le Stade Français. La finale se déroule le 15 avril 1913 à Colombres devant 15 000 spectateurs. Le SCUF affronte l’Aviron Bayonnais et André Theuriet, capitaine à la mêlée, va jouer sa première finale ! Hélas, c’est une déculottée pour le club parisien qui perd 31 à 08. André marque un essai et passe une transformation mais cela sera la ndernière finale du SCUF.…
La saison suivante voit l’émergence de Marcel Reichel, fils de Frantz, et André Theuriet passe à l’ouverture. Le SCUF termine à nouveau deuxième du championnat de Paris et laisse le Racing CF jouer les phases finales. En 1914, André Theuriet met un terme à la pratique de son sport. La France vient de rentrer en guerre, et il est appelé sur le front où il se conduira brillamment.
A l’issue du conflit il revient au club. Mais avec 61 morts au combat au sein des troupes scufistes, l’état d’esprit a changé… En 1921, Georges Bruni assume la présidence du rugby. Il nomme André Theuriet vice-président et le prend comme conseiller technique. Les années passent et le SCUF est en sérieux progrès. André Theuriet encadre les jeunes et fait parfois des apparitions en troisième ligne. Il représente toujours dans un match le type de sportif d’autrefois qui pratique son sport indifféremment en première ou en cinquième équipe, et joue pour faire jouer les autres.
Son attachement au club et à ses valeurs sont soulignés en 1922 lorsqu’il reçoit des mains de Frantz Reichel la médaille d’Or du SCUF.
Saison 1922-23, il reprend goût à la compétition et se voit pour la quatrième fois désigné pour commander l’Equipe première. Il assure également la fonction d’entraineur. Cette saison s’organise avec des anciens, comme Fernand Buscail et Lucien Besset, qui veillent à l’esprit de camaraderie et de club. Autour de Theuriet, ils maintiennent l’espoir et l’ambition aux jeunes qui arrivent. Grâce au patient travail de formation des jeunes joueurs, le SCUF de Theuriet s’efforce de reprendre son ascension compromise par la guerre. Les saisons passent et il privilégie sa fonction d’entraineur à celle de joueur. André Theuriet, qui assiste et dirige les entrainements avec Fernand Buscail, proclame : « Au rugby, on ne devrait jamais être plaqué, on devrait toujours s’être débarrassé du ballon au profit d’un partenaire mieux placé pour continuer sa propre offensive avant d’être soi même plaqué par un adversaire. »
En 1924, bien que jouant encore avec l’Equipe 3 ou 4, il va secouer le monde du rugby en créant la première école de rugby en France. C’est en octobre qu’il lance son projet. Son but est uniquement de faire acquérir les bons principes aux jeunes joueurs de moins de vingt ans n’ayant jamais pratiqué le rugby. Il commence sur le terrain de Vitry avec six joueurs et voit venir en quelques mois de nombreux jeunes. Il finit la saison avec 46 joueurs. André Theuriet organise quelques matchs, notamment contre la 6ème équipe du Stade Français et celle du Racing. Le message de « l’académicien » commence à porter ses fruits. Cette école va fournir, génération après génération, des jeunes fiers de porter les couleurs noir et blanc.
André Theuriet incarne l’excellence du rugby scufiste, il est le symbole du beau jeu. Surnommé tour à tour « le professeur » ou « l’académicien », c’est un athlète né, et au rugby il excelle à tous les postes mais principalement à la mêlée où son credo est « Il y a toujours un joueur qui se sacrifie pour que l’autre puisse briller ». Il conseillera les jeunes du SCUF pendant de longues années en dirigeant l’école de rugby du SCUF de 1924 à 1946. Des puristes du SCUF comme Delcroix sauront l’épauler et assurer la continuité de l’école de rugby. Ils auront comme digne successeur Louis Martin, Albert Mayaud, Chabert, Massé, Cottin, Piron, Prineau, Roques, Bracon, Jean-Luc Thirobois, Pechmeze, Jean-Louis Igarza, Michel Hospital, Christian Lambert, Pascal Wagner, Daniel Sampermans, Jean-Pierre Petitet, Pierre Auriacombe, Peter Macnaughton, Karol Menneteau…
Côté terrain, il décroche un nouveau titre de Champion de Paris avec l’Equipe 4 en 1926. A côté de cela, après avoir goûté à toutes les disciplines sportives, il finit par se trouver dans l’obligation d’inventer un nouveau sport. C’est alors qu’il s’avisa de faire jouer les jeunes sportives du Femina Sport à un rugby dépouillé de tout ce qui en fait sa rudesse. Il est un des grands promoteurs de la barrette féminine (ancêtre du rugby féminin d’aujourd’hui) dans les années 1920.
Dans le civil, il est Directeur d’une entreprise d’imprimerie Avenue Gambetta dans le XXème. Il habitait au 4 de la Place Gambetta… En 1938, il est fait Vice-Président d’Honneur du Comité du SCUF Omnisport et par la suite sera nommé au Panthéon des Membres Perpétuels du SCUF.
Son action durant la seconde guerre mondiale sera des plus utiles pour le club. Il continue son œuvre de formation et assure la survie du rugby durant cette période sombre. En 1944, il fait partie du Comité du SCUF qui décide de faire graver la célèbre plaque de cuivre sur le Bouclier de Brennus (remplaçant le simple palmarès d’avant) rappelant ainsi le souvenir de son président fondateur. En 1946, il passe le relai et quitte ses fonctions de dirigeant. Mais on le retrouve sur le bord du terrain pendant encore de longues années. Il sera médaillé de la FFR, d’Argent en 1953 et Vermeil en 1954. Il décède le 21 mars 1965. Avant de fermer les yeux pour la dernière fois, il confie à ses intimes « Quand je ne serai plus là, dites leur que je les aimais bien tous »