Patrick LAURENT (1950-2017)


Patrick,

Il n’y a pas de degré dans la mort : elle est une et irrémédiable. Mais il y en a dans l’injustice et la mort brutale qui t’a frappé nous laisse sans voix et ta famille dans une peine inconsolable. Pourquoi toi ? Pourquoi la camarde a-t-elle décidé de t’enlever à ta femme, tes enfants et petits-enfants, à tes amis à l’âge où tout est encore possible et où faire des projets au long cours ne relève pas de l’utopie ? Et pourquoi a-t-elle frappé au cœur ?

Il y a beaucoup de réponses mais la seule qui me semble évidente est que ton cœur était trop grand et qu’elle ne l’a pas supporté. Étrange paradoxe que de commencer par le cœur pour parler de toi quand ce sont d’abord nos corps qui ont été pétris et malaxés au gré des joutes rugbystiques des années 70 et 80. Je n’ai connu que la fin des années 70 et n’ai jamais eu ton expérience en matière de mêlées, qu’elles fussent ouvertes ou fermées. Troisième ligne de devoir, infatigable plaqueur (toujours le grand cœur), présent au milieu du combat, tu ne dédaignais pas non plus d’apporter ta vélocité à tes camarades de l’arrière, toujours au soutien. Par petites touches et au-delà du joueur, s’inscrivent en creux tes qualités d’homme. Troisième ligne de devoir, toujours au soutien, tu étais rassurant pour les plus jeunes qui arrivaient dans ce club légendaire comme pour les plus anciens. Te savoir présent, c’était un peu bénéficier d’une égide protectrice. « Servir était son credo depuis les juniors » a bien résumé Christian Pouliquen en parlant de toi.

Tu as connu beaucoup de terrains et beaucoup de saisons avec notamment les deux saisons phare de cette époque bénite : 77/78 et son issue cruelle et 80/81 avec son lot de joies, belle récompense pour une belle bande de copains devenue en vieillissant une bande d’amis.

Ces qualités humaines, le devoir, servir ne faisaient pas de toi un moine soldat austère : tu aurais pu faire tienne la devise de Rabelais : « Pour ce que rire est le propre de l’homme ». Tu n’étais pas Rabelaisien, stricto sensu, mais ton rire, reconnaissable entre tous, était la brillante illustration de ton amour de la vie. Sans artifice, sans être ébloui par les néons des manèges, tu savais ramener les choses à leur juste valeur et d’un mot montrer qu’on ne te la faisait pas, toujours avec bonhomie et un petit (ou grand) sourire.

Bref, sur le terrain comme en dehors, tu comptais pour nous et nous comptions sur toi.

Sur ta vie en dehors du SCUF, j’en savais le strict nécessaire car tu étais plutôt discret de nature. Dans les grandes occasions, Nicole se joignait à toi et vous nous donniez tous les deux l’image du bonheur simple, au bon sens du terme : un bonheur qui se partage et qui rayonne. Ces grandes occasions, quand nos jambes fatiguées nous ont encouragés à renoncer au rugby, tu en étais toujours, avec toujours gentillesse, sourire puis rire quand la soirée se prolongeait.

Malgré tes intermittences, les espaces temps qui pouvaient s’allonger, te retrouver était un plaisir même quand c’était dans des circonstances difficiles. Comme toujours, on pouvait compter sur toi, ta solidité sur le terrain s’étant transposée, en dehors, en engagement indéfectible.

De ces qualités humaines deux méritent d’être mises en exergue au-delà des autres que j’ai citées car elles me semblent emblématiques de ce que tu étais : fiable et fidèle. Tu inspirais confiance et la parole donnée avait du sens. Fidèle à ton club et à tes amis et surtout fidèle à ta famille et à tes valeurs.

Tu étais fiable et fidèle et nous, nous sommes fiers de t’avoir connu. Je ne sais pas si le mot fierté faisait partie de ton vocabulaire mais si, un instant de raison avant de quitter ce monde, tu as pu regarder en arrière et embrasser le chemin parcouru, j’espère que tu as été fier de l’empreinte laissée.

Plus l’empreinte est forte et plus la peine est grande. Pour toi, Nicole, pour tes enfants et tes petites enfants le vide doit être immense. Tu as écrit combien tu avais eu de chance de croiser le chemin de Patrick il y a 46 ans. Nous avons eu cette même chance mais lui il a eu celle, encore plus grande, de t’avoir tout ce temps à ses côtés.

Un grand cœur fidèle s’est arrêté de battre.

Repose en paix Patrick.

Match SCUF–Le Havre (troisième division) réserves. Premier essai marqué par Patrick LAURENT, à la 20e minute. Sur la photo (de gauche à droite) : Guy AUBERT, notre correspondant; Patrick LAURENT, captaine du SCUF et auteur du premier essai, et M. GUYON, dirigeant.

Patrick Laurent; dont les cendres ont été dispersées dans la mer selon ses dernières volontés, est parti entouré de l’amitié fraternelle de la famille scufiste.